De l'origine et l'évolution des noms de famille en France - Janvier 2005 (par Paul de Lapeyre de Bellair)
Adieu le patronyme… Bonjour le nom de famille.
A partir du 1er janvier 2005, la loi du 4 mars 2002, publiée au J.O N° 54 du 5 mars 2002, modifiée par la loi du 18 juin 2003, publiée au J.O N° 140 du 19 juin 2003, complétée par le décret fixant les modalités d’application du 29 octobre 2004 publié au Journal Officiel N° 255 du 31 octobre 2004, va-t-elle sonner le glas du nom patronymique? Pour mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là, nous allons remonter le temps et suivre les «tribulations » des noms de famille.
Naissance des noms de personne
Vers la fin de la Gaule celtique (60-52 avt J-C) les Gaulois n’avaient pas de nom de famille mais seulement des noms individuels, personnels qui n’étaient pas transmis à leurs enfants (non héréditaires). C’étaient des noms simples signifiant une particularité physique exemple : Crixus :« le crépu » ; Galba «le gros » ou des métaphores guerrières exemple : Vercingétorix, «grand/ chef/ guerrier » ; Ambiorix, Dumnorix etc.
Après l’invasion romaine (Alésia), pendant la période gallo-romaine (52 avt J-C au Ve siècle), les notables Gaulois puis les personnes des classes moyennes adoptèrent peu à peu le système des noms latins en 3 éléments, exemple Juleus Caïus Caesar (Jules César) soit : prénom, gentilice en « ius »(nom de la gens, groupe de famille) et le surnom cognomen (nom de la famille). Les plébéiens, gens du peuple, ne portaient que deux noms latinisés : le prénom qui indiquait une particularité et le surnom qui évoquait soit un aspect physique (le roux Rufus) soit le caractère (chéri Carus) soit le métier (berger Pastor) soit le mois de naissance (août Augustus).
L’avènement du christianisme qui triomphait définitivement au Ve siècle, au moment de l’effondrement de l’Empire romain, bouleversa le système latin et ne reconnaissait plus qu’un nom nouveau celui du baptême, nom individuel reçu à la naissance ou à la conversion et qui remplaçait le nom déjà reçu (sauf Clovis baptisé le 25 décembre 496 à Reims qui conserva son premier prénom). Quelques noms de personnes popularisés par des saints ont survécu : Clarus, Martialis (IIIe s) Hilarius (IVe s) ainsi que plusieurs noms de lieux (Sabinius<Savigny).
L’invasion des premiers Germains, tout d’abord par petits groupes au début du Ve siècle, a introduit en Gaule un système anthroponymique proche du système gaulois : un nom unique composé de deux éléments. Le premier était le déterminatif et le second un substantif (frid>paix) ou un adjectif (berht> brillant ; hard> dur).
1 - Les noms de baptême.
Ils constituent une des catégories les plus importantes des noms de famille. Le même nom était porté de père en fils, ce qui favorisa la transmission héréditaire de ces noms. Altéré en hypocoristique (diminutif affectif, petit nom amical exemple : Jean>Jeannot, Antoine>Toinou etc.) il caractérise encore mieux l’individu. Il peut être appliqué à ses descendants, comme tout surnom, surtout si l’homme qui le porte ou la femme seule pour les matronymes, est resté chef de la maison pendant de longues années. Par la suite au nom de baptême était souvent associé un surnom : Pépin «le Bref » (petit) ; Charles «le Magne » (grand), Hugue «capet » (manteau, cape) etc.
Noms d’origine germanique : La Gaule a subit l’influence de trois peuples germaniques du Ve au IXe siècle : Les Wisigoths qui venaient d’Orient et d’Italie ont occupé l’Aquitaine, de la Loire aux Pyrénées, la Narbonnaise et la Provence pendant un siècle. Ils ont introduit un certain nombre d’anthroponymes et de toponymes dans la région de Toulouse et le Languedoc. Les Burgondes s’installèrent en 443 en Savoie, des deux cotés du Jura (la Suisse romande s’appela longtemps Bourgogne transjurane). Ils ont laissé quelques noms de lieux et de personnes. Les Francs ont marqué l’empreinte de beaucoup la plus importante. Installés depuis le IIIe siècle sur les rives du bas Rhin, ils s’avancèrent au Ve siècle dans la région de Tournai (Francs Saliens), puis s’emparèrent de la Gaule du Nord et du Midi par Clovis (465-511) et ses fils. Ils laisseront quelques toponymes (noms de lieux) mais c’est dans le domaine anthroponymique (noms de personnes) que l’influence des Francs s’exerça le plus. Au début du Xe s. les Northmans, venus des côtes scandinaves, feront des incursions de piraterie en Gaule puis s’installèrent dans la région qui porte leur nom : la Normandie. Important apport toponymique mais les noms de personnes ont été refaits à la mode francique. Les noms germaniques se présentent, en majorité, sous forme de composés. Bien dans la mentalité germanique ils sont des métaphores évoquant la force, la gloire, le combat, la protection divine ainsi que des animaux emblèmes de force (hard), lion (levon), loup (wulf), ours (bern) exemples : Bern-hard, fort (hard) comme un ours (bern) ; Godofrid, paix (frid) de Dieu (Godo), Hold-wig (gloire)>Clod (latinisé)>Clodovicus>Clovis>Louis, etc. Ils forment au IXe siècle le contingent le plus nombreux.
Les noms d’origine chrétienne, biblique et grecque : Dès le début du christianisme, sous domination romaine, des noms expressifs à valeur chrétienne avaient été créés exemple : Renatus (né de nouveau) Deodatus (donné par Dieu), Dominus (appartenant au Seigneur) puis plus tard référence à saint Dominique, évolution due au culte des saints. Certains personnages béatifiés (laïcs, rois, ou grands seigneurs) portaient un nom germanique comme Bernard, Guillaume, Hubert, Thibaud. Les saints les plus populaires ont d’abord été saint Pierre, saint Paul, saint Jean, saint Martin, saint Nicolas, saint Jacques et du coté féminin, sainte Marie, sainte Anne, sainte Agnès, sainte Barbe, sainte Claire, sainte Madeleine, sainte Marguerite etc. Des noms de personnages bibliques ont été aussi en faveur au début du moyen âge, mais certains ont été laissés peu à peu aux juifs. Cependant les protestants leur ont fait un nouveau succès au XVIe et XVIIe s. au moment où les noms de famille étaient formés : Abel, David, Joseph, Salomon, Simon etc. Les noms chrétiens d’origine grecque ont été latinisés : Agatha> Agathe, Andreas (viril)> André, Catharina (pur)> Catherine, Stephanus (couronne)> Etienne, Christianus> Chrétien etc. Quelques noms d’origine des fêtes religieuses : Noël (Nadal), Pâques (Pascal, Toussaint etc. Quelques noms laïcs bretons de divers personnages : Arthur, Lancelot, Merlin, Perceval etc.
2 - Les noms d’origine.
Ce sont tous ceux qui rattachent l’individu au sol, à la maison ou au domaine qu’il habite, à la localité ou au pays dont il est originaire, on dit aussi « noms de provenance ». On relève une forte majorité de noms de lieux, précédés ou non de la préposition « de ». L’addition du nom de la propriété ou du fief au nom de baptême, afin de caractériser l’individu et ses descendants s’est produite aussi bien pour les tenures roturières que pour les fiefs. C’est chez les nobles que l’usage d’ajouter le nom de la terre s’est développé et a pris de l’extension car ces noms sont devenus un titre de fierté et leur hérédité allait de soi puisque les fiefs étaient héréditaires dans le régime féodal. Cependant la particule « de » n’est nullement un signe de noblesse, d’ailleurs quelques familles de noblesse ancienne et authentique ne la portaient pas. Quand un nouveau venu s’installait dans un village ou une ville, ses voisins lui donnait comme surnom le nom de la localité d’où il venait, exemple : Jehan de Chalon. De même pour les habitants des écarts, exemple : Bertholin de la Noue (habitant la ferme de la Noue). Dans de nombreux cas il est très difficile de savoir si la personne a pris le nom du lieu (toponyme) ou si le lieu a pris le nom de l’occupant.
3 - Les noms de professions
Les noms de professions tendraient plus à devenir héréditaires parce que le même métier était souvent exercé de père en fils pendant plusieurs générations, c’était un surnom tout trouvé : Guillaume Le Munier (meunier), Metayer, Messonnier, Lefaucheur, Bouvier, Vacher, Charbonnier, Letailleur, Lecouturier etc. Les noms de professions ont rarement formé des matronymes (nom de mère).
Les Noms et la réglementation
Comme
nous l’avons vu les noms se sont formés librement, selon la coutume, sans
aucune règle et les surnoms n’avaient ni orthographe ni forme fixe. Ouvert à
l’initiative personnelle d’un curé, le plus ancien registre de catholicité
connu en France est celui de Givry près de Chalon sur Saône (Saône et Loire)
qui allait de 1334 à 1357. Les dénombrements de feux aux XIVe et XVe siècles
avec la seule indication du nom du responsable du feu et du nombre de
personnes vivant avec lui ainsi que les actes notariés et les terriers ont
permis une certaine identification des familles.
Les
20/25 septembre 1792 création de l’état civil moderne. La tenue des
registres est enlevée aux curés et remise aux municipalités. Création des tables annuelles et décennales.
La loi
de ventose an XI (mars 1803) stipule que « l’acte de naissance
énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant et
les prénoms qui lui seront donnés ainsi que les prénoms, noms,
âge, professions et domiciles des père et mère ». On ne parle pas du
nom de l’enfant.
Les changements de nom
Nombreux sont ceux qui veulent changer de nom ou le modifier parce que celui-ci est ridicule ou déshonoré, ou ajouter une particule ou un nom de terre, aussi, pour éviter les abus, les usurpations de nom et les changements irréguliers, l’Etat a été obligé de légiférer.
L’ordonnance du roi Henri II à Amboise le 26 mars 1556 fait défense à «toutes personnes de ne changer leurs noms et armes, sans avoir nos lettres de dispense sous peine d’être punis comme faussaires et déchus de tout degré et privilège de noblesse ». Seul le roi peut autoriser un changement de nom en vertu de lettres patentes dites lettres de commutation de nom. Une ordonnance de Louis XIII en 1629 enjoint à «tous gentilshommes de signer du nom de leur famille et non celui de leur seigneurie, en tous actes et contrats qu’ils feront, à peine de nullité des dits actes et contrats ». En effet, les nobles avaient pris l’habitude d’ajouter à leurs noms et surnoms personnels, la désignation d’un ou plusieurs fiefs ; puis de ne conserver que le nom de leur terre, exemple : Bouchard devint Bouchard de Montmorency puis de Montmorency. Depuis l’état civil laïc, régi par un règlement plus strict (décret du 10 janvier 1872), les mairies se sont montrées, en général, plus scrupuleuses en matière orthographique. Le changement de nom est devenu chose importante qui touche à l’ordre public pour l’identification des individus, la recherche des délinquants (qui changent de nom pour se dérober à la justice), le paiement des impôts, le service militaire, les successions etc. Aujourd’hui les modifications de noms par addition, suppression, substitution ou transformation sont faites soit par décision administrative, soit par décision judiciaire.
Pourquoi reformer la loi
En France au XXe siècle on s’est attaché à garantir l’égalité entre les deux sexes (discrimination), ce qui fut obtenu par une lente reconnaissance des droits de la femme à tous les plans : électoral (1945) et civique , dans le monde du travail et au sein de la famille. Dès les années 60, on s’efforça d’adapter les textes aux nouvelles situations sociales, régimes matrimoniaux, concubinage et aux nombreux enfants qui en sont issus, aux familles recomposées, monoparentales etc. On ressent la nécessité de réformer le droit de la famille en adoptant, en 1999, le Pacte Civil de Solidarité, l’accouchement sous X et les droits successoraux du conjoint survivant. On en arrive à la transmission du nom patronymique. Réclamée dès 1978 par le Conseil de l’Europe, cette question a été inscrite, en 1981, au nombre des 101 propositions du Président Mitterrand mais n’a pas été retenue. Depuis, en 1982, 1985, 1994 et 1999 la proposition a été rejetée chaque fois. A noter cependant un changement obtenu en 1985 avec l’instauration du nom d’usage (non transmissible). En février 2001 une proposition de loi est déposée et acceptée le 8 février 2001, après un bref débat de deux heures, en s’appuyant sur cinq points :
l’appauvrissement de notre patrimoine onomastique.l’actuelle atteinte au principe d’égalité homme-femme. la diversification des histoires familiales. l’incompatibilité de notre droit avec les normes nationales et internationales. les législations et expériences étrangères, de nombreux pays d’Europe permettant le choix du nom transmis à l’enfant.
Ce qui va changer
La rédaction de l’actuel article 57 du Code Civil est rédigé ainsi : « L’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant, et les prénoms qui lui seront donnés, les prénoms, noms âges, professions et domiciles des père et mère »
Nouvelle rédaction : « L’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de naissance, le sexe de l’enfant, le nom de famille, suivi le cas échéant de la mention de la déclaration conjointe de ses parents quant au choix effectué et les prénoms qui lui seront donnés, les prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère ».
Choix du
nom : « Art
311-21-du J.O. Lorsque la filiation d’un enfant est établie à l’égard de ses
deux parents au « plus tard le jour de la déclaration de sa naissance ou
par la suite mais simultanément, ces derniers « choisissent le nom de
famille qui lui est dévolu : soit
le nom de son père ; soit
celui de sa mère ; soit
leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux, dans la limite d’un
patronyme pour chacun d’eux.
Modifications
Conséquences
Il est
encore trop tôt pour mesurer toutes les conséquences de cette nouvelle loi
sur la vie familiale. Cependant la réforme du nom est loin de faire
l’unanimité. Les notaires ont déjà souligné les difficultés auxquelles ils
se heurteront si les branches d’une même famille ne portent pas le même nom.